Andrea Rawlins
Journaliste et réalisatrice, CAPA
Mon métier, c’est « la société » : je suis documentariste spécialisée dans les sujets de société depuis 20 ans. Je travaille sur des sujets souvent lourds, que ce soient les violences faites aux enfants, ou aux femmes, ou encore les travailleurs sans papier, et c’est bien pour moi sur le terrain politique, dans le débat public, que ces sujets doivent être traités pour inspirer positivement la société.
Il s’agit d’un travail minutieux et long, car dans mon métier, inspirer positivement la société, c’est d’abord dépasser la chronique de l’actualité et travailler sur le long terme, pour laisser la place à la nuance. Quel que soit le sujet de mon film, les femmes victimes de violences sexuelles, les enfants pauvres, les enfants victimes de harcèlement, les travailleurs sans papier, les jeunes et le cannabis, ou même des sujets qui paraissent plus légers, comme l’amour à 20 ans, j’essaie toujours de me rapprocher de la vérité, et elle n’est jamais binaire. Elle se cache toujours dans les détails, dans l’intime. C’est vraiment en allant chercher dans ces détails de l’intime, qu’on se rend compte que le personnel est universel. Quand on entend un enfant, ou une femme, ou un homme, décrire son parcours de vie, livrer ce qu’il ressent, qu’il soit un homme sans papier ou une femme violée, on peut voir qu’ils ont les mêmes sourires, les mêmes larmes, les mêmes préoccupations, les mêmes émotions que soi. Et toutes ces émotions sont universelles. C’est comme cela qu’on crée de l’humanité et qu’on crée de l’empathie, qui est vraiment je crois le maître mot.
C’est vraiment en allant chercher dans ces détails de l’intime, qu’on se rend compte que le personnel est universel.
Inspirer positivement, c’est aussi donner à voir et à comprendre la société et pour ça, il faut souvent aller chercher la voix de ceux que l’on n’entend jamais, donner un visage aux invisibles. Ce qui m’intéresse, ce sont les angles morts de la société, qui sont finalement assez massifs. Simplement, les médias traditionnels n’ont pas toujours le temps de s’y intéresser, d’aller creuser. Une actualité chasse l’autre, une émotion recouvre l’autre. Et pour cela il faut du temps : pour gagner la confiance, pour comprendre. Ne jamais être dans le jugement, sans cesse avoir envie d’apprendre des autres pour restituer au mieux ce qu’ils ont la générosité, ou le courage, de te livrer. C’est aussi s’autoriser à s’émouvoir, à s’émerveiller, à s’indigner. Dénoncer aussi. Je ne sais pas faire grand-chose à part réaliser des films. Alors ce peu de chose, j’essaie de le mettre au service de ces voix, souvent de ces invisibles, afin de réduire la fracture entre ceux qui ne se comprennent pas a priori et peut être permettre à notre société, à notre pays, de mieux se comprendre, voire – soyons fou – de mieux s’aimer !
Ce qui m’intéresse, ce sont les angles morts de la société, qui sont finalement assez massifs. Simplement, les médias traditionnels n’ont pas toujours le temps de s’y intéresser, d’aller creuser.
Au final, inspirer positivement la société, c’est aussi permettre à cette société de ne pas détourner le regard, de s’éduquer, de s’informer pour mieux comprendre. Et je pense que quand on comprend l’autre, ça ne peut être que positif pour la société. On ne laisse personne sur le bord de la route, tout d’un coup ça devient un sujet de débat public, et les victimes sont écoutées. Parce que tout le monde parle de libération de la parole, mais la parole est libre depuis longtemps chez les victimes. Tôt ou tard, elles parlent. Ce qu’on essaie de créer, c’est une révolution de l’écoute.