Denis Gancel
Président fondateur de l’agence W - Enseignant à Sciences Po Paris - Auteur avec Gilles Deléris des Lettres d’adieux au marketing, Edition Télémaque
Une question de regard
On pourrait se méprendre ! Voilà un sujet qui pourrait inviter à décoller, à monter dans les hautes sphères de la pensée, à chercher à imiter les « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », celles et ceux qui ont su, en leur temps, inspirer la société par leur pensée, leurs actes de courage, leur bravoure ou leur talent incomparable.
Pourtant, à bien y regarder, il semble que dans « inspiration » il y ait quelque chose d’autre à chercher. Quelque chose que le nouveau-né découvre à sa naissance. Un air que l’on inspire et qui fait vivre. Ce mouvement s’apparente au sublime geste du joueur de chistera qui, s’il veut avoir une chance de relancer la pelote (jeu de balle le plus rapide au monde), doit apprendre à la recevoir… Oui, inspirer c’est accueillir ! C’est savoir faire le vide pour mieux capter les signaux du monde. Simone Weil* le dit si bien : « L’attention extrême est ce qui constitue dans l’homme la faculté créatrice… Cette attention si pleine que le “je” disparaît ». La philosophe termine en nous livrant un secret : « La condition est que l’attention soit un regard…» et « La joie est la plénitude du sentiment du réel ».
Le réel d’aujourd’hui nous interroge à tous les niveaux. Quand les mesures de confinement prétendent faire le tri entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Quand le législateur modifie une définition de l’entreprise qui n’avait pas changé depuis deux siècles (1802). Quand, enfin, les sociétés (commerciales) partent en quête de leur raison d’être pour mieux faire société.
Ces interrogations témoignent d’une prise de conscience et d’un changement de perspectives salutaire. C’est une réelle opportunité pour les entreprises et les marques qui sont désormais invitées à placer au cœur de leurs stratégies les dimensions sociétales et environnementales.
S’interroger sur sa raison d’être, c’est porter une nouvelle attention au monde.
Après des décennies d’émissions bruyantes pour capter l’attention de cibles captives, les marques réapprennent à écouter leurs publics, dans un côte à côte affinitaire, qui tente de réconcilier sens et business.
Les études montrent en effet que les consommateurs n’attendent plus seulement des marques qu’elles leur délivrent un service ou des produits conformes, mais qu’elles s’engagent sur des sujets qui relèvent de l’intérêt général. Grand défi pour les acteurs économiques qui doivent parvenir à s’inscrire dans une nouvelle ère de la consommation – marquée par le moins – sans renoncer à leur vocation : attirer, informer et séduire.
Inspirer positivement la société, c’est inventer un nouvel imaginaire du consommer moins en tissant des liens plus proches avec les clients. C’est imaginer de nouveaux récits, plus respectueux, plus sincères, plus authentiques, moins racoleurs ou faussement connivents. C’est, dans un contexte surdigitalisé, investir massivement sur le design des lieux pour permettre au client de vivre la marque de l’intérieur, pour mieux l’habiter.
Inspirer c’est être agile par l’innovation et proche par l’attention. Nous entrons dans une période dans laquelle le trop gros, trop lourd, trop puissant et trop lointain sera pénalisé par des parties prenantes qui n’y verront que les scories obsolètes du monde d’avant. Les marques qui, pendant les confinements, se sont engagées en faisant preuve de solidarité ont rencontré un écho exceptionnel. Une « néo-proximité », dépassant la notion de distance géographique, est apparue. Une proximité de service, d’empathie et de réactivité grâce à la technologie.
Inspirer c’est dessiner un monde désirable et joyeux, généreux et vivable. Le design, qui a ouvert la voie à la publicité au début du XXe siècle, va devoir à nouveau montrer le chemin en aidant les marques à se transformer. Sa mission : quitter l’arrogance, la débauche de moyens, l’instrumentalisation et cultiver l’écoute, l’attention portée, l’inclusivité, la simplification et l’économie de moyens, le tout en explorant de nouvelles sources d’inspiration créatives.
Inspirer c’est favoriser les raisons d’agir… En définissant leur raison d'être, les entreprises cherchent à redéfinir leur place dans la société. Pour cela, la démarche se doit d'être inclusive en impliquant et en engageant tout le corps social. Les marques doivent donc également écouter les parties prenantes, se nourrir de regards extérieurs et prendre en compte leurs demandes spécifiques.
Au sein de l’agence W, nous pensons l’inspiration sous l’angle du Contributing®.
Le marketing a rendu les marques « accro » à une potion magique efficace dont elles ont bien du mal à se défaire. Mais le marketing est mort le 12 décembre 2015 lors de l’Accord de Paris, alors qu’il allait fêter ses 70 ans. Il est temps d’imaginer un nouveau concept pour une relance économique qui, on le sait, ne pourra être que responsable et durable. Si « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde »**, il faut le soulager en inventant un nouveau mot qui permette aux marques d’être au rendez-vous des défis sociaux et environnementaux de notre temps.
C’est le sens du Contributing®. Mot humble, qui puise sa source dans l’économie de la contribution de Bernard Stiegler. Le Contributing® a vocation à aider la consommation à se réinventer en profondeur, en proposant un nouveau contrat de marque qui, sans jamais renoncer à la créativité et au plaisir de consommer, développe une approche fondée sur le respect, la conversation et une plus grande liberté de choix.
La 1re édition*** du baromètre Contributing® réalisé avec l’Institut CSA en juin 2020 a montré qu’une majorité de Français (56 %) est incapable de citer une marque contribuant à améliorer la société ! Beau défi en perspective !
Le Contributing® dote les marques d’un outil d’aide à la décision pour réorienter les usages et les comportements. Une méthodologie inspirante permet d’allier implication de talents extérieurs à l’entreprise (artistes, chercheurs, écrivains, scientifiques…), interrogation du passé et prospective. Le tout dans le cadre d’une démarche inclusive qui permet de libérer la parole, de retrouver le sens d’un récit, affranchi de tout PowerPoint…
Le regard porté sur les marques est en train de changer.
Naguère, étiquettes sur un produit en rayon, archétypes de la société de consommation (le nouvel OMO de Coluche), les marques deviennent des leviers de valeur immatérielle puissants. Source d’inspiration positive, elles portent de nouvelles responsabilités dans un monde en quête de sens et précèdent l’engagement de l’entreprise pour une société du mieux commun. Ces nouvelles responsabilités exposent les marques à des parties prenantes de plus en plus attentives et exigeantes (clients, salariés, actionnaires, ONG…) à qui elles doivent inspirer confiance pour espérer être digne de la jolie phrase d’Henri Cartier-Bresson : « Certains disent, je n’en crois pas mes yeux… Moi je les crois mes yeux ! ».
Le regard, toujours le regard…